Sevrage tabagique : de l’intérêt de considérer la respiration volontaire dans un travail psychique

Les techniques pour maîtriser d’une façon plus souple et plus conforme à la nature notre respiration volontaire (tant malmenée dans notre culture, qui ne supporte pas les bâillements et impose le port d’une ceinture scindant en deux le corps) sont nombreuses. Mais il s’agira ici de considérer les motifs psychiques poussant nombre de fumeurs à chercher (paradoxe…) non pas tant le tabac… que l’air, dans le geste de fumer.

Etrangement, notre attention sur ce que nous appellerons l’angoisse de noyade fut d’abord appelée par une motivation en apparence assez éloignée : comment travailler en profondeur dans le cadre d’une psychothérapie la question de la respiration volontaire avec une personne en sevrage tabagique ?

Comme le manifeste à l’évidence l’usage contemporain de la cigarette électronique, le geste respiratoire est une des causes prévalentes d’une addiction au tabac. Contrôler à loisir l’entrée et l’expulsion de l’air, fût-il vicié, dans les poumons, participe du plaisir des fumeurs. L’échec de nombre de tentatives de sevrages tabagiques au moyen de patchs et autres médications complémentaires à base de nicotine mais excluant le système respiratoire du procédé pourrait s’expliquer ainsi : la personne ne parvenant pas à se passer de fumer cherche un moyen de donner un support matériel (la fumée se voit et se ressent – effets olfactif, gustatif, thermique), une légitimité sociale (je fume, donc je peux respirer plus fort…) à des prises d’air plus importantes. Une certaine convention bourgeoise ne tolère pas les soupirs bruyants, les bâillements, et c’est alors une pratique sportive qui autorise socialement à « respirer fort »… ou le geste du fumeur. Curieusement, les premiers psychanalystes, qui avaient pourtant inscrit à l’ordre du jour de la première des réunions viennoises organisées par Freud le tabagisme, s’ils avaient bien noté que la pulsion orale était convoquée dans cette dépendance, n’explorèrent pas au-delà de cette remarque. Sans doute étaient-ils trop concernés, et collectivement, pour pouvoir aisément l’élaborer… La pulsion orale satisfaite par le geste du fumeur (une inspiration et une expiration maîtrisées « volontairement », mais sur un mode nettement compulsif !) ne relève pas uniquement du suçotement de l’objet (filtre de la cigarette, cigare) mais bien du soulagement de respirer à son aise… Et le soulagement du fumeur aspirant à pleins poumons sa bouffée d’air tabagique pourrait bien (temporairement, bien sûr) marquer une pause dans l’éprouvé corporel d’une angoisse : celle de ne plus pouvoir respirer.

Or, non seulement les personnes souffrant d’asthme, mais également les personnes enrhumées, les nageurs, les ronfleurs, bref tout un chacun dans sa vie est confronté à l’angoisse de manquer d’air. Premier besoin vital à satisfaire : respirer. Avant l’eau, la nourriture, la régulation thermique, le sommeil, l’équilibre postural, à chaque instant de vie, la pulsion respiratoire demande son objet : de l’air ! Il se dit communément qu’à la naissance l’irruption de l’air dans les poumons jusqu’alors pleins du liquide issu de la vie intra-utérine provoquerait les pleurs, à tout le moins les cris des nouveaux-nés. Tous ne le font pourtant pas… Et s’il se peut que l’irruption d’air (plus froid, en général, que les 37,5 ° de l’intérieur du corps maternel…) soit cause de déplaisir les premières secondes de vie aérienne, le pli semble vite pris, par la suite, d’un irrépressible désir d’aspirer à pleins poumons… fût-ce en fumant ! Les fumeurs qui souhaitent se sevrer du tabac auront intérêt, de ce point de vue, à pratiquer diverses sortes d’exercices (pratiques sportives et techniques de relaxations diverses) permettant d’assouvir la pulsion respiratoire sur un mode comportemental ; pour ce qui est de l’analyse psychique, interroger d’éventuelles angoisses de noyade, plus généralement d’étouffement, peut lever certains obstacles puissants à une cessation durable du tabac.

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