Le 12 octobre 2020, sur France Info, le Premier Ministre commit un lapsus qui a aussitôt été repris sur les réseaux sociaux, abondamment moqué, assez rarement interprété. Voulant évoquer l’application StopCovid, laquelle n’avait pas eu l’efficacité escomptée, il employa à la place, à deux reprises, l’appellation : TéléCovid. Il ne s’agit pas ici d’interpréter le lapsus individuel que le Premier Ministre a commis mais d’écouter, dans le cadre élargi de la psychologie collective, ce que ce lapsus a mis en évidence relativement à nos angoisses sanitaires et sociales et aux croyances inconscientes ainsi qu’aux voeux magiques inconscients qu’il révèle chez chacun d’entre nous. Il est remarquable que la journaliste qui l’interviewait ne l’ait pas repris ni contredit, sans doute elle-même prise dans les déterminations psychiques inconscientes que ce lapsus réveille en nous si nous n’y prenons pas garde.
Ecoutons le mot. TéléCovid est une condensation de télé et de covid. Ce mot signifie donc « Covid à distance ». L’angoisse de la contamination au Covid 19 et la précaution sanitaire élémentaire mais insuffisante consistant à éviter de nous toucher font comme flamber une angoisse plus archaïque encore : celle d’être contaminée même à distance… Le port du masque a été rendu obligatoire du fait du risque de contamination par les aérosols, donc même quand nous sommes à distance les uns des autres. Or, le « toucher à distance » fonde la magie, et véhicule, en tant que voeu psychique inconscient, nos fantasmes, individuels ou collectifs, les plus archaïques. A l’évidence, le lapsus TéléCovid est surdéterminé par cette angoisse, fondée lorsque la distance est faible entre les individus, d’une contamination sans contact, à distance.
Mais le mot Télé, dans notre culture et nos usages quotidiens, a pris un sens autrement plus vaste que celui d’une distance entre les individus. Du fait des inventions techniques qui ont bouleversé notre vie quotidienne (téléphone fixe puis mobile, télévision, internet), le mot Télé évoque immédiatement tout usage technique et social d’un mode de communication à distance : de la télésurveillance au télépaiement, du téléguidage de drones au télétravail, de la télémédecine à la télécommande de repas, et la liste reste ouverte… La télé-vie dans laquelle nous évoluons, curieusement, est certes une vie à distance mais grâce à des objets, des modes de communication, des modalités relationnelles risquant de devenir de plus en plus intrusifs. En quelques années, nous nous sommes de plus en plus écrit, mails ou sms, et de moins en moins parlé, que ce soit de vive voix ou au téléphone. Enfin, les publicités, les actualités comme les émissions de divertissement font désormais partie intégrante de notre psyché collective et sur-déterminent jusqu’à nos conduites et nos pensées intimes via les réseaux sociaux, la télévision comme la radio. Le lapsus eut l’étrange fonction de nommer notre vie sociale quotidienne jusque dans ses plus profonds bouleversements, survenus depuis l’arrivée d’internet dans nos foyers.
Brest, 19 décembre 2022