Psychologue à Brest (2) : l’imprégnation de la mer dans le travail d’écoute…

Ecouter a la même racine étymologique qu’ausculter (aus-cultare) : être attentif aux rythmes du coeur devrait faire partie du premier souci d’un psychologue écoutant autrui. En tous les sens du terme, bien sûr : à savoir le rythme des passions, des sentiments, des émotions, mais également le rythme de l’organe, le rythme cardiaque (celui du praticien et celui du patient) et pour ce faire, plus largement, le rythme respiratoire. Les respirations, celles du praticien et celles du patient, comme plusieurs vagues d’intensités différentes, peuvent littéralement rythmer une séance de travail psychologique : indice d’un malaise ou au contraire d’un soulagement, retenue soudaine du souffle alors qu’une idée nouvelle surprend le cours de la pensée, indication à l’autre de l’attention qui lui est prêtée…

Qui écoute les rythmes du coeur ? La mère écoute les battements cardiaques du bébé… et réciproquement. Avant même la naissance, avant la sortie des eaux matricielles, le foetus entend les bruits internes du corps maternel, dont les rythmes du coeur. L’ouïe est fonctionnelle avant la vue dans la vie intra-utérine… Et le son ne se propage pas de la même façon dans les eaux que dans les airs, ne provoque pas les mêmes effets sur l’ouïe humaine… Or Ferenczi s’est précisément inquiété des échos évolutionnistes sur la lignée humaine qu’ont pu provoquer les espèces ancestrales dont nous sommes tous issus : quid de nos origines marines ?

Ferenczi a commencé l’écriture de son oeuvre maîtresse, Thalassa, essai sur la théorie de la génitalité, en 1914, alors que commençait la Première Guerre mondiale. Il s’en explique en introduction : « A l’automne 1914, le service militaire obligea l’auteur de cet article à abandonner son activité de psychanalyste et à s’exiler dans une petite ville de garnison où sa tâche de médecin-chef d’un escadron de hussards n’était guère de nature à satisfaire sa soif de travail, devenu une véritable habitude. »

Le cadre est posé : c’est un temps de guerre, et mondiale, à tout le moins européenne à ce moment-là. Ferenczi est coupé de son travail de psychanalyste. Ecoutons-le (parler de l’auteur, à savoir lui-même) : « Ainsi en vint-il à consacrer ses heures de liberté à traduire en hongrois les Trois essais sur la théorie de la sexualité, ce qui l’amena presque inévitablement à élaborer plus avant certaines idées surgies au cours de ce travail, puis à les jeter brièvement sur le papier. » Ferenczi traduit un ouvrage de l’allemand en hongrois, sa langue maternelle, un ouvrage de Freud, son « père » psychanalytique.

Ne nous laissons pas leurrer par la politesse de Ferenczi : il ne fait pas que s’ennuyer… Il est également anxieux. Qui ne le fut pas, si peu informé qu’il fut en automne 1914 ? Le travail de traduction d’une des oeuvres majeures de Freud (elle était une de ses préférées, avec L’interprétation du rêve) a assurément contribué à faire un tant soit peu oublier à Ferenczi les affres de la guerre. Certes, il n’était pas au front… Il était de plus, en Hongrie, loin de la mer… Alors comment en est-il arrivé à s’inquiéter des effets de nos origines océanes lointaines sur notre mode de reproduction ? Nous nous efforcerons dans les articles à suivre d’écouter au plus près ce que nous dit Ferenczi… Reconnaissons notre tort : nous lisons en français, n’entendant pas, hélas, le hongrois ! Les citations sont extraites d’ Oeuvres complètes, Tome III : 1919-1926, Psychanalyse 3, de Sandor Ferenczi, aux éditions Payot, 1982. La traduction en est de J. Dupont et M. Viliker.

Copyright, Y-M Bouillon, 2016.

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