La guerre de 1914-1918 et ses conséquences psychiques sur les soldats comme sur les civils, séparations brutales, terreurs, chagrins, deuils et douleurs, continuent de produire leurs effets près d’un siècle plus tard.
Issue de la Première Guerre mondiale, la découpe de zones d’influence dans d’immenses territoires de l’Afrique et de l’Empire ottoman au profit des États européens dits vainqueurs continue de produire des guerres, longtemps déjà après celles dites de décolonisation, et selon les nouvelles données de la géostratégie énergétique, minérale et alimentaire.
Les effets des guerres apparaissent plus ou moins selon les personnes et les situations vécues. La transmission à travers les générations prend diverses formes, des plus élaborées aux plus inconscientes. Les professionnels travaillant avec les personnes en souffrance psychique peuvent rendre compte de ces effets dans leur travail, s’ils y ont prêté une ouverture et une écoute, toutes professionnelles, mais aussi un certain courage, et dans la durée. Condition nécessaire mais non suffisante, cela demande de considérer sa propre histoire, celle dont chacun est tissu et partie prenante.
S’ils acceptent ce travail préalable, les psychanalystes, les psychologues peuvent conduire l’analyse au cours de laquelle une personne en travail psychique, thérapie ou cure, prendra en compte les éventuels effets de certains traumas collectifs familiaux subis en temps de guerres plus ou moins récentes.
Des travaux comme ceux de Françoise Davoine (Davoine F. et Gaudillière J.-M., 2006, Histoire et trauma, Paris, Stock) mettent en évidence les effets des traumas collectifs sur les souffrances psychiques individuelles : traumas à travers lesquels et autour desquels notre histoire récente s’est « faite » par refoulements, dénis, et dans un clivage collectif constant.
Le clivage se fait également par l’imposition massive de certaines images de cruautés commises : l’empêchement de la pensée se maintient, ces images étant infligées dans un but d’abrutissement de tous, bourreaux comme victimes et témoins, but manifeste déjà dans les actes. Un voyeurisme sado-masochiste est ainsi activé et imposé, entretenant d’autant les angoisses de culpabilité inhibitrices. L’exemple entrave la réflexion sous couvert d’information. Par ces inhibitions massives de la réflexion, forme de censure « par l’exemple », les guerres sont produites continûment sans opposition massive. La boucle est fermée, sauf à y réfléchir, ce qui nécessite du temps, quelques interlocuteurs ou interlocutrices de confiance et, à l’occasion, de la solitude.
La censure reste d’ampleur. Une des difficultés rencontrées pour penser ce que nous vivons consiste en ceci : les propagandes des États et celles des entreprises privées, dont les médias, visent à gommer même le caractère belliqueux des opérations militaires. Il sera aisé de trouver telle opération militaire contemporaine, meurtrière dans ses effets sur les populations civiles, intitulée par les organes de communication des armées, mais aussi par les médias : « opération de maintien de la paix », voire « pacification ».
Pour les temps précédant la Première Guerre mondiale, le général Gallieni produisit au Journal officiel (6 mai-3 juin 1899) un Rapport d’ensemble sur la Pacification, l’Organisation et la Colonisation de Madagascar. Il est très difficile de trouver des chiffres concernant le nombre de morts qu’occasionna cette guerre d’occupation et de colonisation, non nommée en tant que guerre dans l’histoire dite officielle.
« war is peace », « guerre est paix » écrivait déjà George Orwell en guise de slogans infligés par un régime totalitaire dans Nineteen Eighty-four pour dénoncer les mensonges publics en temps de guerres.
« the three slogans of the Party :
war is peace
freedom is slavery
ignorance is strength »
« les trois slogans du parti :
guerre est paix
liberté est esclavage
ignorance est force »
Orwell G., 1949, Nineteen Eighty-four, London, Penguin Books, 1977, p. 7.
Cette censure opère à notre insu précisément quand nous faisons l’effort d’approcher certains textes, même ceux contemporains de la Première Guerre mondiale. Certaines œuvres de poètes sont lues et commentées depuis presque un siècle. Le vertige saisit quant à l’impression persistante qu’à certains égards certains poètes n’ont pas été entendus, au moins pour certains de leurs propos, tant la censure est maintenue efficiente jusque dans les pratiques de lectures.
Que vise cette censure ? En termes collectifs, d’abord le maintien du statu quo d’asservissement de populations entières, notamment par les guerres, au profit d’une partie, la plus riche, la plus puissante militairement, de la population mondiale : nier, d’abord et littéralement par le silence radio, les meurtres commis chaque jour dans les guerres évite une opposition massive.
Cette censure est facilitée par l’angoisse de culpabilité écrasante que peut générer la prise de conscience de l’organisation meurtrière massive de notre société, à laquelle chacun d’entre nous participe indirectement, ne serait-ce qu’en tant que consommateur. Payer la taxe à la valeur ajoutée à laquelle nul n’échappe, c’est fournir un impôt au budget de l’Etat, donc au Ministère de la Défense. La censure des mots vise celle des affects. Ce déni des meurtres de masse commis exige de qui tente de le déjouer une attention soutenue. Les noms mêmes des guerres sont à considérer.
Nous avons nommé de deux façons celle souvent appelée la Grande Guerre : la guerre de 1914-1918 (appellation nécessitant le calendrier chrétien, d’usage commun mais non neutre), la Première Guerre mondiale (appellation situant son énonciateur après la Deuxième). D’autres appellations eurent cours en langue française, avant ou tôt dans le cours de la dite guerre.
La « Revanche » vise à évoquer la guerre mais sans nommer contre qui elle s’exerce. Les termes revanchard et revanchisme disent l’idéologie qui a imprégné la psychologie collective des milieux politiques, militaires et éducatifs entre 1871 et 1914 (datés respectivement de 1894 et 1900 par le Nouveau Petit Robert, 1994). La défaite de 1871 a justifié aux yeux de nombre d’hommes politiques français l’exaltation du sentiment patriotique. Appeler une guerre la « Revanche », avant qu’elle n’ait lieu, sans nommer l’ennemi : c’est entretenir le souvenir de la défaite de 1871 ; sinon oblitérer la notion d’ennemi, au moins lui refuser nom et visage ; et focaliser le souvenir des années 1870 et 1871 sur une adversité externe, l’Allemagne, pour occulter les conflits internes entre Versaillais et Communards et les répressions meurtrières de la population française par sa propre force armée. La notion de conflit est explicite, et le souhait de vengeance : mais l’ennemi supposé reste exclusivement extérieur, « étranger ».
Au sujet de la Semaine Sanglante (du 21 au 28 mai 1871) qui mit fin à la Commune de Paris, Bernard Noël écrit : « On ne connaîtra jamais le chiffre des exécutions sommaires commises par les troupes versaillaises durant la Semaine Sanglante et les jours suivants. Le général Appert, responsable de la justice militaire, a officiellement admis le chiffre de 17 000 fusillés, c’est en réalité celui des inhumations payées par la Ville de Paris. On sait que des milliers de morts furent par ailleurs incinérés, jetés dans des puits et des carrières, ensevelis à la hâte dans les tranchées du Siège. Les historiens situent le chiffre des exécutions entre 20 000 et 35 000. Seul point de repère : la répression terminée, il manquait environ 100 000 ouvriers dans Paris. Il y avait 38 568 prisonniers, quelques milliers d’hommes en fuite ou en exil ; les autres ? Rappelons, à titre de comparaison, que la fameuse Terreur, celle dont les manuels scolaires font le plus grand cas, entraîna l’exécution, dans toute la France, de 16 594 condamnés à mort, et elle dura un peu plus de dix-sept mois, du 6 avril 1793 au 27/28 juillet 1794. » (Noël B., 2000, Dictionnaire de la Commune, Paris, Mémoire du Livre, p. 269).
Le conflit fut ensuite appelé la « Der des Ders » : la locution vise à légitimer la guerre lors de ses prodromes puis dans ses commencements. La « guerre » n’est pas nommée, la notion de conflit est effacée. Pour rendre l’effacement possible et que le sens reste accessible, il faut que ce conflit soit omniprésent dans les consciences. Le Nouveau Petit Robert (1994) date l’apparition littéraire de « der » de 1920 (entrée « dernier-ère ») mais ne date pas la locution « la der des ders », définie par « la guerre après laquelle il n’y en aura plus ». Le nom guerre est effacé de la locution : c’est la guerre en tant que processus qu’il s’agirait d’éradiquer. La locution anglaise équivalente de la française dit the war to end all war (la guerre mettant fin à toute guerre).
La nuance s’entendra, entre le singulier et le pluriel, par exemple dans cet extrait de Nineteen Eighty-four, (Orwell, op. cit., p. 74) :
« ‘The beer was better,’ he said finally. ‘And cheaper ! When I was a young man, mild beer – wallop we used to call it – was fourpence a pint. That was before the war, of course.’ ‘Which war was that ?’ said Winston. ‘It’s all wars,’ said the old man vaguely. »
« ‘La bière était meilleure’ dit-il finalement. ‘Et meilleur marché ! Quand j’étais jeune homme, la bière mild – wallop qu’on l’appelait – était à quatre pence la pinte. C’était avant la guerre, bien sûr.’ ‘Quelle guerre était-ce ?’ dit Winston. ‘Ce sont toutes des guerres’, dit le vieil homme vaguement. »
La locution « l’entre-deux-guerres » a d’ailleurs signifié la période entre la guerre de 1870-1871 et la Première Guerre mondiale avant de signifier celle entre la Première et la Deuxième Guerre mondiale.
Dans the war to end all war, war en deuxième position est au singulier. A l’approche d’une guerre massive, cette locution manifeste un mécanisme de contrainte : le rite conjuratoire. La guerre est présentée comme nécessaire : elle clôturera une longue série (locution française), mettra fin au processus même (locution anglaise). Les « ders » ne sont jamais les dernières puisqu’il en faut encore une. Dans la locution anglaise, il s’agit de soigner le mal par le mal : la guerre comme vaccin définitif.
Ces deux locutions ont pour objet d’empêcher de penser autre chose : la paix et ses nécessaires formations de compromis. Une fois acquise collectivement la représentation qu’il allait durer, le conflit fut appelé la « Guerre mondiale », parfois la « Guerre du Droit ». Cette locution de propagande figure dans le titre de 1914 Histoire illustrée de la guerre du droit, d’Emile Hinzelin avec préface de Paul Deschanel, Président de la République Française, éditions Aristide Quillet, Paris, 1916. Le chef d’État rédige la préface en temps de guerre.
Puis elle fut appelée la « Grande Guerre ». La locution de « Grande Guerre » est employée publiquement dès 1915.
La locution semble avoir d’abord été utilisée en allemand, paraissant dans le titre d’un ouvrage de stratégie dès 1909 : Falkenhausen Freiherr v., 1909, Der grosse Krieg der Jetzzeit, eine Studie über Bewegung und Kampf der Massenheere des 20. Jahrhunderts, Mittler und Sohn, Berlin. L’Institut de Stratégie Comparée mentionne dans sa bibliographie stratégique en ligne, à la rubrique d’Histoire contemporaine, l’existence d’une traduction française non publiée, à l’Ecole Supérieure de Guerre : Falkenhausen, L. von (General), Der grosse Krieg der Jetzzeit, 1909, trad. fr. non publiée, La grande guerre au temps présent. Etude du mouvement et du combat des unités immenses du XXe , Ecole Supérieure de Guerre, s. d.. (Cf. http://www.stratisc.org/biblio_Bibliographie3_16.html.)
Cette locution dit les mouvements narcissiques massifs imposés et convoqués par les classes dominantes, chez les combattants et les civils. Le qualificatif « Grande » peut décrire les moyens matériels quantitatifs de cette guerre, hors de mesure pour un être humain.
Même l’ouvrage suivant, récent et d’une historienne, ne rend pas compte de la locution « Grande Guerre » : Roynette O., 2010, Les mots des tranchées, sous-titre L’invention d’une langue de guerre 1914-1919, Paris, Armand Colin. L’auteur relève pourtant la grande permission pour « la mort » (voir l’index de l’ouvrage). La locution est ainsi répétée sans être analysée : le trauma collectif, source de bénéfices narcissiques secondaires, n’est pas élaboré.
La locution « grande guerre », d’abord sans majuscules, s’entendit probablement d’abord dans les écoles de guerre par opposition à « la petite guerre ».
La petite guerre, faite de surprises et d’embuscades, s’oppose à la « grande guerre » entre nations, faite de sièges et de batailles. Opposition qualitative et quantitative : la seconde est considérée plus « noble », et est plus meurtrière. (Cf. Picaud-Monnerat S., 2010, La petite guerre au XVIIIe siècle, Paris, Economica, ouvrage issu de la thèse de doctorat).
La recherche quasi obsessionnelle par les historiens d’une spécificité de la Grande Guerre trouverait réponse dans les facteurs conjoints suivants. Les armées de conscription des États les plus industrialisés ont agi une guerre, dite parfois totale, avec tous les moyens que les plus récentes inventions industrielles rendaient accessibles aux ingénieurs : guerre sur et sous terre, sur et sous les mers ainsi que dans les airs (aviation et gaz toxiques).
Les nombres de soldats, de blessés et de morts, civils et militaires, de tonnages d’armement, manifestent la démesure de cette guerre-là. Mais quand la guerre fut-elle à l’échelle de l’individu, sinon et peut-être, avant la révolution néolithique, il y a plus de dix mille ans ? Et cela s’appellerait-il une guerre ?
Le Nouveau Petit Robert (1994) donne la locution « Grande Guerre » avec majuscules pour exemple de l’usage qualitatif, et non pour l’usage quantitatif, de l’adjectif « grand ». C’est comme « majoratif, qui distingue des autres » que cet emploi est classé. Ce qualitatif de « Grande » manifeste l’identification psychique collectivement imposée aux combattants, conscrits dès les premiers jours de la guerre dans l’armée française, comme aux civils. Il suffit de songer à la dite Grande Armée napoléonienne.
En anglais, la Révolution Française (qui fut traversée de l’épisode de la Grande Peur des « grands » propriétaires terriens) se dit couramment the Great Revolution. La France fut appelée la Grande Nation, sa population ayant été durant des siècles la plus importante d’Europe. Louis XIV se fit appeler Louis le Grand. Seul, un lycée parisien est encore affublé de cette appellation, que la mémoire collective a refusée au roi capétien. Des historiens disent encore parfois le Grand Siècle pour le XVIIe s.. Un usage collectif du majoratif « grand » associé à l’histoire de France a perduré quelques siècles et entretenu un narcissisme… « des petites différences » dirait Freud. L’adjectif « grand » qualifie les élans narcissiques amoureux (le grand amour) mais également mélancoliques (un grand malheur).
Un combattant qui croirait, voire serait convaincu de participer à la « Grande Guerre », est supposé en revenir « grandi », s’il en revient vivant, si vulnérable voire traumatisé qu’il soit en réalité. L’idéologie collective narcissique est également imposée aux masses, enfants et adultes vivant à l’arrière, éventuellement réfugiés. La Première Guerre mondiale fut dite « Grande » pour imposer un gain narcissique à ses participants : commanditaires, témoins, soldats, meurtriers, endeuillés, profiteurs de guerre, victimes et bourreaux, aucune de ces places n’excluant la possibilité d’une autre. L’emploi martelé de la locution vise à ce que chacun et chacune continuent d’investir l’énergie psychique quotidienne que « nécessite » l’économie de guerre : « l’effort de guerre ». La locution de « Grande Guerre » mène à considérer les identifications à but narcissique imposées à tous, même à ceux qui ne l’ont pas connue…
Les historiens Antoine Prost et Jay Winter, dans leur ouvrage Penser la Grande Guerre, entament leur introduction par cette phrase : « La guerre de 1914 n’appartient à personne, pas même aux historiens. » (Prost A, Winter J., 2004, Penser la Grande Guerre, trad. du texte de Winter par Prost, Paris, Editions du Seuil, p. 9.)
Sage précaution. Oubliée, hélas, quelques pages plus loin. Le chapitre s’intitule : « La première configuration [historiographique] : militaire et diplomatique – L’imbrication des acteurs et des historiens ». Il commence ainsi : « Les contemporains ont très vite compris qu’ils vivaient un événement exceptionnel, quelque chose d’épique, qui relevait de la grande histoire : ils l’ont appelé ‘grande guerre’ dès 1915. Son histoire n’attend donc pas pour s’écrire que les canons se soient tus. La précocité est saisissante. À peine gagnée, la bataille de la Marne devient sujet d’histoire. » (Op. cit. pp.16, 17.)
Prost et Winter reprennent malheureusement, à ce moment du moins, les clichés idéologiques bellicistes sans rendre compte au lecteur que les premiers emplois de la locution de « grande guerre » (sans majuscule) furent le fait, et dès avant les premiers combats, de stratèges peu soucieux du nombre de morts. Les canons n’ont jamais parlé et ne parleront jamais : ils ne peuvent donc pas se taire, mais cessent de tonner et tuer quand les obus ne sont plus projetés par les humains sur eux-mêmes et l’écosystème. Les historiens disent : « quelque chose d’épique, qui relevait de la grande histoire ». La « grande guerre », la « grande histoire » : les mouvements narcissiques ne sont pas pensés.
L’épopée en français, du grec επος, « mot, parole », renvoie pour le sens « au pluriel επεα », qui « est le nom de la poésie épique, par opposition à la poésie lyrique » ( Chantraine P., Dictionnaire étymologique de la langue grecque, Paris, Ed. Klincksieck, 1968-1980, p. 362). Le mot est le plus souvent employé pour qualifier un récit de guerre. Et à l’adjectif « épique » s’associe très vite entre autres « glorieux », voire le substantif « grandeur »…
La « patrie » fut dite sur nombre de monuments « reconnaissante » « à ses enfants » morts en son nom. Les familles ont été endeuillées par des pères, frères, fils, oncles, neveux, cousins, maris, gendres, fiancés, beaux-frères morts à la guerre. Combien en éprouvèrent de la gloire, de la « grandeur épique » ? La censure a fonctionné. Il n’est nulle place pour l’individu dans la « Grande Guerre ». Le soldat dont les restes sont enterrés sous l’Arc de Triomphe a été choisi parce qu’il était « inconnu ». Que ce pût être la dernière guerre, personne ne sembla plus y croire. Mais la locution est restée… La « Grande Guerre » sonne comme l’exemple type pour tous les mensonges au sujet de toutes les guerres.
Mensonges au sujet de toutes les guerres que Jean-Norton Cru s’employa à démystifier dans Témoins. Le but de l’ouvrage est d’établir un classement selon les degrés de fiabilité des écrits sur la Première Guerre mondiale. J.-N. Cru dénonça des siècles de mensonges littéraires sur la guerre. Il insista aussi sur ce que la dite Grande Guerre ne fut qu’exceptionnellement une lutte entre combattants, les tirs d’artillerie infligeant à l’armée adverse des bombardements contre lesquels « […] l’autre ne peut que courber le dos et recevoir les coups. » Les coups étant ici des explosions (Cru J.-N., 1929, Témoins, Nancy, Presses Universitaires de Nancy, 2006, p. 26).
Ce mensonge active une propension, spécifique à l’être humain dans le monde animal, au moins dans les sociétés humaines qui ne régulent pas le narcissisme : l’excès hors des limites, par surinvestissement psychique de soi et de son groupe d’appartenance, en boucle fermée, sans prise en compte de l’environnement ni des congénères vivant hors de ce collectif.
Un siècle après la Première Guerre mondiale, alors que les commémorations, d’une certaine façon, sont toujours en cours, un temps de guerre permanente semble organiser notre société. Charles de Gaulle n’appela-t-il pas la période 1914-1945 la « guerre de trente ans » ? Dénoncer les appellations fallacieuses est un moyen, non le seul assurément, de se déprendre de la fascination imposée par ce régime de guerre permanent. La « Grande Guerre » fut appelée ainsi, et avant qu’elle n’ait lieu, par des stratèges réunis autour de cartes d’état major : non par les combattants, les victimes ou leurs descendants orphelins.
Yves-Marie Bouillon, 1er Mai 2017.
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