Voix de femmes dans « Les Métamorphoses » d’Ovide (10) : Echo…

Dans les Métamorphoses d’Ovide, trois figures féminines apparaissent précisément pour leur voix : Echo, Sibylle et Canente.

La métamorphose d’Echo est décrite au Livre III. A la demande de Jupiter (figure paternelle), Echo a retenu l’épouse du maître de l’Olympe, Junon (figure maternelle). Echo empêche Junon, par sa conversation et dans ce seul but de tromperie, de surprendre Jupiter quand celui-ci séduit des nymphes. Ce récit de la collusion d’Echo avec Jupiter pour duper Junon s’apparente aux manoeuvres, à coloration fantasmatique incestueuse, d’une jeune fille couvrant les infidélités de son père contre les soupçons de la mère. Echo pourrait d’ailleurs s’identifier à une des nymphes séduites par Jupiter.

La métamorphose affectant Echo, punie par Junon, est d’abord celle affectant sa capacité d’énonciation et son initiative lors de sa prise de parole. Echo a usé de la parole pour tromper Junon ; désormais, la parole d’Echo la leurrera elle-même. Elle ne peut plus tenir de conversation avec autrui qui relève d’un véritable échange.

« Echo ne peut plus désormais que redoubler les derniers sons à la fin des paroles et répéter les derniers mots qu’elle entend. »

(Ovide, LesMétamorphoses, trad. Puget, Guiard et al. revue par A. Videau, Le Livre de Poche, 2010, p. 136)

Affectée de cette métamorphose, Echo rencontre Narcisse, un jeune homme (qui n’a pas encore été métamorphosé en fleur), et s’éprend d’amour pour lui… Le jeune homme ne goûte le plaisir érotique qu’à son seul profit, soit par séductions non abouties (nous parlerions aujourd’hui de donjuanisme),  soit par séductions à but érotique exclusivement à son profit.

Voyant Narcisse et s’enflammant pour lui, Echo est dans l’incapacité d’amorcer le dialogue… Elle ne répond à Narcisse qu’en répétant les derniers mots qu’il vient de prononcer. Et ces mots sont ceux qu’il lui plaît d’imaginer entendre.

« Abusé par l’apparence d’une voix qui échangerait avec lui : « Réunissons-nous ! » reprend-il. A ces mots, les plus doux que sa bouche puisse redire, Echo répond : « Unissons-nous ! » ; et, s’enivrant de ses propres paroles, elle sortait du bois et s’élançait pour entourer de ses bras sa nuque désirée : il fuit, et en fuyant : « Garde tes mains de ces embrassements, je mourrai plutôt que tu ne me possèdes. » Elle n’a redit que : « … tu me possèdes ! » (Ovide, Les Métamorphoses, p. 137)

Le corps d’Echo, de douleur, s’amaigrit tant qu’ « […] il ne reste que la voix et les os. Sa voix s’est conservée ; ses os ont pris, dit-on, la forme d’un rocher. Elle se cache depuis dans les forêts, elle ne paraît plus dans les montagnes, mais elle se fait de tous entendre : c’est un son qui en elle vit. » (Ovide, Les Métamorphoses, p. 137)

Echo, « s’enivrant de ses propres paroles », n’écoute qu’elle-même, que son seul désir amoureux, irréalisable puisque ne prenant pas en compte la réalité de l’autre : trace du fantasme incestueux frappé d’interdit, et puni par la mère. Qu’Echo s’éprenne de Narcisse, lequel est transformé en fleur pour s’être épris de son reflet, est comme une illustration dramatique de ces amours impossibles : celles dans lesquelles les deux protagonistes s’éprennent  d’une idéalisation projetée sur la personne choisie. Aucun(e) ne peut rencontrer l’élu(e), mais seulement l’écho de sa propre voix, le reflet de sa propre image.

Yves-Marie Bouillon, Brest, 2017.

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