L’ouvrage dont nous avons extrait une définition de la vie par Lamarck, a pour titre : Recherches sur l’organisation des corps vivans (l’orthographe est celle de l’époque, cf. l’article Psychologue à Brest (5)). Ce mot, organisation, mérite une écoute attentive.
Il est apparenté, bien sûr, à organe et organisme, aussi à orgue, orgasme, orgie, mais également, plus lointainement, à énergie, et à tous les mots formés, via le latin, à partir du grec ergon, « travail » : en relèvent donc ergonomie, synergie, etc..
« Ergon se rattache à une racine indo-européenne °werg-, « agir », qu’on retrouve dans les langues germaniques (anglais to work, allemand werken, tous deux signifiant « travailler »). » (cf. Dictionnaire historique de la langue française). Alors que les mots organes, organisation ou organisme pourraient induire le lecteur en erreur en l’amenant à une compréhension statique, sur un mode visuel inspiré par une méthodologie anatomique dont le modèle serait la dissection, l’étymologie des mots employés par Lamarck nous amène au contraire à nous situer, pour comprendre le monde vivant, dans le domaine des actes, de l’agir. « In der Anfang war die Tat », écrit Goethe dans son Faust. « Au commencement était l’acte. »
Comment Lamarck définit-il la vie ? Rappelons :
« La vie est un ordre et un état de choses dans la partie de tout corps qui la possède, qui permettent ou rendent possible en lui l’exécution du mouvement organique, et qui, tant qu’ils subsistent, s’opposent efficacement à la mort. » (Recherches sur l’organisation des corps vivans, p. 71).
Si « l’exécution du mouvement organique » est bien à considérer comme résultant de l’ordre et l’état de choses caractérisant la vie, celle-ci, malgré les mots « ordre » et « état », qui pourraient également amener à une considération statique, est vue, dès cette définition princeps, dans une perspective dynamique, conflictuelle, puisque l’ordre et l’état de choses, « tant qu’ils subsistent, s’opposent efficacement à la mort. »
Un lecteur habitué de Freud entend résonner, dans cette définition de la vie par Lamarck, ce que le fondateur de la psychanalyse est allé puiser comme principes fondamentaux chez le fondateur de la biologie : unité de l’ordre et de l’état de choses qui caractérisent le monde vivant, dynamisme conflictuel, dualité des pulsions de vie et de mort, mais également un déterminisme n’empêchant pas la pluralité des trajectoires que peut prendre un corps vivant… Nous ne sommes pas, semblerait dire (mais c’est nous qui le disons) Jean-Baptiste de Lamarck, dans la rigidité fermée de l’astronomie, où la régularité des mouvements des corps célestes permet de prédire leurs trajectoires !
Car l’ordre et l’état de choses « permettent ou rendent possible en lui [le corps vivant] l’exécution du mouvement organique » : les conditions favorables chères à Lamarck sont résumées par ce verbe (permettre). Et Lamarck ouvre grand à la vie son champ d’extension, via le mouvement organique, puisque Lamarck ne situe pas la biologie dans une causalité figée, fermée, unique, mais dans une description des trajectoires possibles : l’ordre et l’état de choses caractérisant la vie de tout corps vivant « rendent possible en lui l’exécution du mouvement organique ». Avec ce mot, « possible », Lamarck s’inscrit dans la filiation de Démocrite et Lucrèce, également d’ailleurs de Pythagore, qui avait écrit dans les vers dorés transmis à la postérité : « le possible loge près du nécessaire ».
Rendre, par l’établissement des conditions favorables que peut procurer une conversation réfléchie, dans un cadre sécurisant, possibles les changements que souhaite vivre une personne, selon son rythme et ses souhaits, et non selon un programme établi par autrui : en droit, la définition de la vie par Lamarck, avec son dynamisme, son unité, son efficacité face à ce que Freud appela plus tard, et faute de mieux, les pulsions de mort, cette définition de la vie par Lamarck délimite pour un psychologue d’orientation psychanalytique un référentiel rigoureux et ouvert où accueillir une personne en souffrance.
Yves-Marie Bouillon, psychologue clinicien, Brest, 10 octobre 2016.
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