« Les Métamorphoses » d’Ovide (8) : du chaos originaire à l’émergence d’un monde organisé… métaphore pour notre naissance ?

Dans le Livre I des Métamorphoses, sitôt après l’invocation faite aux dieux, Ovide formule qu’à l’origine du monde tel que nous le connaissons aujourd’hui régnait le Chaos…

Anne Videau remarque que la cosmogonie proposée par Ovide se distingue bel et bien, malgré les apparences, de celle d’Hésiode dans sa Théogonie ou de celle d’Empédocle.

Le « chaos » dont nous parle Ovide, du fait de l’étymologie du mot employé, étymologie référant à la tradition stoïcienne, induit le geste de « verser », le « chaos » dont nous parle Ovide étant une espèce de « mélange où les éléments sont versés ensemble ». (cf. préface par A.Videau des Métamorphoses d’Ovide, Le Livre de Poche, p. 16, 2010).

Ce mélange, dynamique, si confus qu’il puisse paraître, s’oppose au chaos décrit par Hésiode, qui lui réfère par l’étymologie employée à une « béance ». Et la cosmogonie d’Ovide se distingue de celle d’Empédocle en ce que « l’unité primitive du monde selon les Métamorphoses, apparaît en fait comme le contraire de l’harmonie d’Empédocle : elle se caractérise comme une indistinction sans forme, dont les éléments sont issus, non pas dans la discorde, mais dans l’émergence d’un ordre ». (cf. op. cit., p. 17).

« D’une manière très romaine – le dieu Terme était essentiel à Rome, ainsi que la notion de limes, c’est-à-dire de limite-, il [le dieu créateur dans la cosmogonie ovidienne] impose un ordre en tranchant et délimitant des territoires propres à chaque chose. Il fait passer le monde de l’état de lis, terme de droit qui signifie « différend », à l’état de « paix et concorde ». Associé avec « la nature en progrès », ce dieu rappelle le dieu stoïcien âme du monde, confondu avec la nature. » (Ibid.)

Il a été assez souligné, en particulier par les neurologues, que le nourrisson humain naît non suffisamment préparé au monde environnant. La myélinisation, la fabrication de cette substance blanche entourant les axones des neurones et autorisant la conduction de l’influx électrique, n’est pas achevée à la naissance et prendra encore plusieurs mois… Ce qui signifie que les informations sensorielles, provenant de l’environnement mais également de l’intérieur du corps (organes internes notamment), ne sont pas acheminées dans un laps de temps autorisant à rendre congruents, simultanés, les événements réels -internes et externes- et leur perception. Le nourrisson continue à construire son appareil nerveux (lequel est au service de représentations de l’environnement, et non uniquement d’actions à mener) alors même que la vie se tisse autour de lui : sa mère le nourrit, il est changé, on le berce… et durant ce même temps, le nourrisson se fabrique son appareil psychique pour percevoir, organiser tout cela, et y répondre, voire l’appeler.

« L’émergence d’un ordre » à partir d’un monde où les éléments sont comme mélangés (les informations sensorielles peuvent apparaître comme incohérentes) pourrait également qualifier la construction par le nourrisson de ses représentations du monde du fait même que son environnement humain (sa cellule familiale) les organise autour de lui, les ordonne…

La cosmogonie proposée par Ovide, inspirée des représentations stoïciennes comme le souligne Anne Videau, donne une image saisissante pour nuancer nos propres représentations de la vie psychique du nourrisson.

Yves-Marie Bouillon, Brest, 2016.

Copyright, Bouillon, 2016.

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