« Les Métamorphoses » d’Ovide (3) : un poème où s’entend l’âme humaine

Ovide prête attention aux êtres vulnérables. L’auteur de L’art d’aimer laisse sourdre plus d’une fois sa tendresse, tant pour les animaux, comme nous verrons (le végétarisme est évoqué), que pour ses congénères. Gilliane Verhulst relève en particulier « le nombre important de personnages féminins victimes (ou bénéficiaires) de métamorphoses » (Répertoire mythologique dans Les Métamorphoses d’Ovide, Ed Ellipses, p. 105).

G. Verhulst propose une classification des métamorphoses selon qu’elles sont punitives, salvatrices, ou soulageant le bénéficiaire de ses souffrances.

La punition est pour l’hybris (la démesure, l’excès, en particulier l’orgueil) ou l’impiété.

Salvatrice, la métamorphose permet d’échapper à un poursuivant ou à la mort, parfois à la malveillance d’un dieu.

Quand elle soulage d’une souffrance, c’est le plus souvent de celles dues aux fixations narcissiques : douleur du deuil, espoir déçu, amour impossible. Les métamorphoses permettant d’échapper (à la mort, au chagrin, à un agresseur) sont cependant fixées dans la mémoire collective par leur figuration poétique, laquelle d’une certaine façon perpétue l’échappée…

Relevons également qu’Ovide ne nous épargne pas la propension sado-masochiste des humains, tant dans les scènes de combat (celui des Centaures et des Lapithes), de viols, que de torture proprement dite (Marsyas). La fréquence du motif du viol doit être relevée. Gilliane Verhulst mentionne douze cas de métamorphoses « en lien avec une tentative de viol aboutie ou non : il s’agit (sauf dans le cas d’Hermaphrodite) de jeunes filles qui sont ainsi métamorphosées pour échapper à leur poursuivant ». (p. 107)

Certaines apothéoses sont à but narcissique exclusif (Achille, César) : elles ont effectivement lieu une fois le héros mort et lui offrent une gloire, associée à l’immortalité, qui n’a pas pour fonction de sauver le bénéficiaire de la souffrance ou d’un agresseur, mais de l’oubli. Enfin, certaines métamorphoses sont réalisées à la demande du bénéficiaire : Daphné, Chiron, Cadmos.

Le génie d’Ovide consiste notamment en une mise en scène des pulsions et des affects, littéralement figurés par les protagonistes, humains ou dieux, parfois par leurs interactions avec environnement. Parmi les affects variés causant les métamorphoses, ou que celles-ci illustrent, s’entendent singulièrement les angoisses éprouvées par les personnages au cours de tentatives de viols et/ou de meurtres, tentatives initiées par des dieux ou des humains. Ces tentatives sont souvent causes de fuite, salvatrices ou trop tardives, mais dont l’issue est une métamorphose : la métamorphose continue, dans un dynamisme vital, la manifestation de l’affect originaire, et ce jusqu’à nos jours… Pour qui en connaît la légende, chaque laurier garde souvenir, jusque dans sa souplesse, sa propension à sembler s’enfuir au moindre coup de vent, de Phébus-Apollon échouant à ravir à Daphné sa virginité.

Mais Ovide peint également l’amour passionnel ou tendre et les chagrins qu’ils inspirent : Pyrame et Thisbé, Alcyone et Céyx. Certains mythes qu’ils relatent sont proprement effrayants : les haines les plus extrêmes, leur mise en actes, par la magie ou sous le coup d’une colère aveugle, traversent l’oeuvre. Médée, infanticide, transforme, en rajeunissant, mais n’est pas transformée ; la magicienne Circé également.

Les pulsions et les affects transformant à la lettre les protagonistes, victimes, témoins ou bourreaux, sont choisis pour motif même du poème dans une dynamique constante. Mais que vise Ovide ? La gloire… Et la stabilisation littéraire des métamorphoses a pour but la métamorphose du poète lui-même, son propre accès à une immortalité supposée…

Yves-Marie Bouillon, Brest, 2016.

Copyright, Bouillon, 2016.

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