« Les Métamorphoses » (5) : Ovide sur le divan…

Le divan, lieu par excellence où peut se faire une psychanalyse, a une étymologie riche…

Le Dictionnaire historique de la langue française (Ed. Le Robert) précise  :

« Divan » est un mot emprunté (1519) à l’italien divano, lui-même emprunté « au turc divan qui possède à la fois le sens de ‘conseil politique’ et de ‘salle de conseil, garnie de coussins’  » ;

« le mot turc est emprunté au persan diwan (dérivé de dibir, ‘écrivain, scribe’), mot qui désigne un registre, une liste – sens emprunté à l’arabe au VIIème s. pour ‘liste de contrôle d’une armée’, ‘registre’, puis ‘bureau, administration qui établit ces listes’, sens emprunté par le turc. Par ailleurs le persan diwan s’employait pour ‘recueil de poèmes’, emploi passé directement en français [mais] didactique et rare ; cet emploi est notamment repris à l’allemand à propos d’une oeuvre de Goethe. »

Le Dictionnaire historique oublie le sens contemporain de lieu usuel d’une cure psychanalytique : « s’allonger sur le divan » a bel et bien pris le sens d’ « entamer une cure psychanalytique »… Le lieu de la cure en devient ainsi la possibilité, en résonance avec l’histoire du mot, via les nombreuses associations libres déployées lors des séances, de dire sa propre poésie, sa musique intime, ses fantaisies, ses souvenirs, ses émois divers, des plus anodins aux plus puissants ou aux plus secrets. La délibération politique qui résonne dans l’étymologie du mot s’entend également dès lors qu’une personne en analyse choisit de résoudre, après analyse de ses enjeux, une situation délicate : à supposer, bien sûr, que le psychanalyste garde la prudence de ne pas influencer le choix de la personne.

Or, le divan est un lieu où la personne est en situation semi-allongée, étendue, en repos corporel. Les pulsions diverses n’y sont pas appelées à être satisfaites ; ce qui n’empêche qu’elles traversent la vie psychique de l’analysant. Pour revenir au poème d’Ovide, les sources pulsionnelles sont abondamment convoquées dans Les Métamorphoses : sphère orale, dont les appareils auditif, gustatif et olfactif ; système digestif complet ; épiderme ; musculature dont l’appareil d’emprise (mains) ; appareil visuel ; épiderme ; appareil génital.

Ovide met en scène les pulsions de vie et de mort qui nous traversent psychiquement chaque jour : activités de loisir ou déplaisantes que vivent les protagonistes des récits, voire châtiments infligés, tortures, même les meurtres sont décrits dans leurs précisions quant aux satisfactions pulsionnelles éprouvées par leurs auteurs, ce qui rend parfois le texte singulièrement pénible à lire.

Les dilatations et condensations du texte d’Ovide, où font irruption des récits enchâssés, manifestent la dynamique pulsionnelle du corps humain jusque dans le sommeil que traversent les songes : le corps n’y est jamais en paix. Quand le dieu du Sommeil est rencontré, et son palais décrit, au Livre XI, c’est dans le but que soient envoyés des songes.

Passer ainsi incessamment, d’une métamorphose à une autre, sans qu’un lien discursif le légitime toujours dans le texte, manifeste qu’Ovide respecte la spécificité de la vie psychique : tiraillée par les pulsions partielles, émue, bouleversée, du fait d’une poussée pulsionnelle continue, selon des temporalités profondes et incompatibles pour la raison commune…

Le lecteur ne parviendra pas, bien sûr du fait de la longueur du texte, à le lire d’un seul trait. Il sera lui-même, s’il parvient à bout de l’oeuvre, dans sa propre temporalité. Et aura éprouvé dans quelle mesure une vie psychique déployée, quand son auteur (Ovide, en l’occurrence, un poète…) en rend compte, peut offrir de discontinuités, de chants, de plaintes, de longs récits continus parfois, souvent d’incises, de surprises, de joies comme de peines. Au rebours de bien des clichés sur une psychanalyse, celle-ci n’est pas tissée que de souffrances : l’humour, la nostalgie bien sûr, mais également le souvenir heureux, voire les projets pour l’avenir y ont aussi leur place.

Yves-Marie Bouillon, Brest, 2016.

Copyright, Bouillon, 2016.

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