Le dialogue à voix haute : se parler à l’air libre…

Est-ce tant que cela une évidence, se parler à voix haute, et dans un climat de confiance ? Sûrement pas, tant les conditions requises sont nombreuses : le temps, la disponibilité psychique, les sentiments de sécurité et de confiance, ainsi, peut-être, qu’une juste distance avec l’interlocuteur : ni trop proche, ni trop lointain… Quelqu’un de suffisamment externe à sa vie intime, qui ne viendra interférer dans aucun secteur de sa vie, des plus intimes aux plus publics, mais avec qui un dialogue puisse se poursuivre dans le temps, mezza voce, ou à voix plus haute, en tout cas sans se fier uniquement aux notions de complicité ou de sous-entendus, lesquels recèlent toujours quelque chose d’inquiétant.

Et pourquoi se parler? La talking cure, comme l’avait définie une patiente de Freud, la cure par la parole, est tellement passée dans l’usage, presque une coutume, que nous en oublions son caractère non évident. L’ouïe est, par rapport à la vue, fonctionnelle bien plus tôt dans la vie intra utérine. L’univers sonore dans le monde liquide intra maternel nous a peut-être prédisposés à préférer la dimension sonore de la relation avec autrui pour initier une relation de confiance. Le démarchage téléphonique commercial joue d’ailleurs de cette proximité sonore comme d’un atout majeur, là où le démarchage en porte à porte, donc visuel avant même que ne soit échangé un mot, suscitera peut-être plus spontanément la méfiance. Mais une psychothérapie verbale se vit de plus à l’air libre, en présence de l’interlocuteur et avec pour condition une juste distance physique. L’effort pour se faire entendre, voire se faire comprendre de l’autre, oblige ainsi à mieux se représenter à soi-même la nature de ses propres difficultés ou souffrances. Le geste est adressé, joué, et peut être difficilement repris à l’identique ; la parole peut être redite, interrogée, soulignée, renvoyée avec un simple écho, ou amplifiée. Parler à l’autre comme s’il était soi, et à soi-même comme à un autre ; l’ambigüité même de la locution « se parler » (à l’autre, à soi?) dit assez qu’on parle bien au minimum à deux personnes quand on parle avec quelqu’un. Peut-être est-ce là le caractère particulièrement précieux de l’échange verbal : un sentiment à la fois d’intimité et d’extériorité, avec ses mots, son intonation, ses sentiments, mais dans la langue courante, avec des mots utilisés par chacun d’entre nous au quotidien.

Parler avec une seule personne extérieure mais dans un univers stable et sécurisant dispose probablement la relation à l’intersection de la conversation en société, publique, ouverte, toujours risquée, et de la conversation privée (avec l’ami, l’alter ego, à l’extrême le monologue avec soi), voire l’univers sonore de la vie aquatique intra utérine. L’engagement d’un professionnel à la fois de fournir les moyens de la réflexion partagée, de proposer une conversation suffisamment ouverte et guidée par l’usage de la raison, et d’assumer et garantir la confidentialité stricte, hors de tout jugement de valeur, énonce, au niveau du cadre de travail (méthodologie, éthique), le souci de cette double visée du dialogue thérapeutique : ouvert à l’échange mais préservant toujours l’intimité ; pouvant accueillir les émotions, les sentiments, les ressentis les plus personnels, sans perdre de vue le but de pouvoir, à son rythme, y réfléchir avec quelqu’un d’autre.

Y-M Bouillon, 1er septembre 2015.

Copyright, Bouillon, 2015.

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