Ecouter son intuition : un des bénéfices d’une psychothérapie…

L’intuition guide habituellement nombre de nos décisions. Sans même nous en apercevoir, nous écoutons une « petite voix intérieure », nous suivons notre « flair », nous faisons confiance à notre premier « coup d’œil », nous estimons la valeur d’un objet « à vue de nez »… Dès lors qu’il s’agit de décisions importantes, selon l’âge, l’éducation, les circonstances, nous suivons plus ou moins cette intuition première… et le regrettons plus ou moins. Car certaines intuitions sont justes ; d’autres sont trompeuses… Les philosophes, certains psychologues, ont étudié le concept d’intuition sans toujours se mettre d’accord sur l’extension d’un concept dont le champ d’application échappe précisément… à la rationalité langagière : comment penser une fonction assurément vitale, mais dont la caractéristique majeure est de se situer, au moins en apparence, hors des moyens habituellement employés par la raison?

Quelles sont les circonstances dans lesquelles l’intuition assume une fonction d’importance quasi vitale ? Quand nous manquons de temps ; quand il y a danger ; quand nous manquons d’informations… Et si nous nous disons parfois, après coup, que nous aurions dû suivre notre intuition, c’est donc qu’il reste possible d’accéder à une estimation juste de la situation par deux voies : par intuition et par raisonnement verbal analytique. Pourtant, la deuxième voie -le raisonnement analytique- nous induit parfois en erreur. Comme si le raisonnement analytique nous donnait l’occasion, paradoxalement, de censurer une intuition première et exacte… De fait, la pluralité des modalités sensorielles et intellectuelles que réclame fréquemment le jugement analytique pour établir une estimation exacte (la vue, l’ouïe, la comparaison avec d’autres situations en apparence semblables, le souvenir, les théories, etc.) va fournir autant d’occasions à la censure interne de refuser les conclusions données par l’intuition. Et les préjugés, la conformité à la pensée dominante, l’adhésion aux clichés, voire le souhait de plaire à ses auditeurs ou contradicteurs (parents, amis, conjoint, enfants, collègues de travail) peut nous faire prendre une décision contraire à notre flair…

Alors quel bénéfice une psychothérapie peut-elle apporter dans cette tendance, malheureusement socialement encouragée, à nous méfier de notre flair? Un travail psychologique peut amener à repérer les entraves que chacun place sur son propre chemin pour complaire aux figures parentales, aux bons amis secourables, aux collègues bien intentionnés. Il arrive que, pour penser son propre chemin, pour retrouver sa liberté d’action, il faille en passer par un dégagement des identifications forcées aux héros de notre enfance : les parents, les aînés, les stars de la télévision ou du sport, de la culture ou des sciences même… Il ne s’agit pas de les récuser en tant qu’idéaux, mais de précisément les situer à leur place exacte : figures idéales, les grandes personnes que nous avons admirées ont été entourées par nous d’une aura qui nous empêche d’écouter nos émotions, nos perceptions intimes de nos besoins, notre sentiment intime de nous-même, de notre valeur.

Un dégagement hors des entraves que nous font ces figures idéales nous donnera un double bénéfice : nous pourrons à la fois retrouver une écoute de nos intuitions dégagée de certaines formes d’auto-censure, et poursuivre un jugement analytique des situations que nous rencontrons avec d’autant plus de puissance et d’exactitude que nous aurons appris à repérer les figures idéales que nous plaçons nous-même sur notre chemin pour nous empêcher de penser par nous-même. Certes, Untel aurait dit ou pensé cela… mais c’est Untel, non moi ! Et la valeur que j’ai pu accorder à ses jugements un temps était fonction de ma vulnérabilité d’alors, de ma dépendance infantile, financière, affective… Un cadre sécurisant, une confidentialité absolue, un engagement du psychothérapeute à ne pas chercher à influencer le consultant pour le laisser libre dans sa réflexion peuvent favoriser le dégagement hors des chaînes qui nous empêchent d’écouter notre intuition… et hors des chaînes qui empêchent également de mener une réflexion plus approfondie, verbale, et aussi personnelle que l’intuition!

L’intuition consiste probablement, en nombre de situations d’urgence et de danger, à ne pas céder à la censure… La censure interne peut provenir de l’angoisse de culpabilité d’oser penser différemment des autres, ou de ses propres cheminements habituels de pensée. Cette censure peut également provenir de la considération d’un danger tel que, dans l’immédiat, nous refusons de le considérer pour ce qu’il est : on approche alors le sentiment de terreur panique. Nous préférons fermer les yeux à notre intuition, qui pourtant, elle, repère le danger, voire pourrait nous donner une modalité d’échapper au danger… si nous acceptons de surmonter notre peur!

Retrouver son intuition, être à son écoute ne consiste pas, d’après nous, en un comportement magique, ni instinctif d’ailleurs… mais en une confiance retrouvée en sa propre intelligence, ses propres facultés d’adaptation. Car une analyse dégagée de toute censure peut, à l’occasion, confirmer l’intuition première. La prudence demande souvent cette double assurance : l’intuition et la réflexion approfondie.

Brest, 18 janvier 2015.

Copyright : Bouillon, 2015.

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