Toutes les métamorphoses décrites par le poète touchent le corps propre, jusqu’aux apothéoses qui en débarrassent précisément le héros au préalable. Ces métamorphoses actualisent les voeux magiques, issus de l’enfance : échapper aux agressions, aux limites imposées par le corps, à ses propres affects. Elles actualisent également les fantaisies sado-masochistes, et leurs angoisses corollaires, ainsi que les voeux proprement érotiques lorsque ceux-ci rencontrent l’obstacle de l’altérité sexuelle.
Les métamorphoses manifestent ce que Freud a appelé le Je-Corps dans sa dynamique pulsionnelle constante, également dans ses éprouvés, voire ses affects, rarement exempts de retentissement dans les organes internes. En les décrivant, les écrivant, Ovide pense ces émotions si diverses qui le traversent tel un souffle : ce qu’indique le premier sujet grammatical du poème, animus. Ovide analyse la psyché humaine. Et pour ce faire, il l’écoute.
Le texte des Métamorphoses est polyphonique : enchâssé dans des mises en abîmes vertigineuses, dans des trames narratives inextricables où le lecteur se perd.
Parlent tour à tour : femmes et hommes dans leurs fonctions sociales multiples, déesses et dieux, nymphes, cyclopes, centaures, divinités de toutes sortes, amants et amantes, victimes, messagers, meurtriers, meurtrières, sages, devins, sorcières, parents et enfants (lesquels parlent cependant fort peu, comme nous verrons dans un autre article), simples témoins, guerriers, voyageurs narrant des histoires, des fragments d’épopées, et, bien sûr, le poète lui-même, chef d’orchestre, compositeur et chanteur de ce long chant de plus de douze mille vers.
Gilliane Verhulste précise (Répertoire mythologique dans Les Métamorphoses d’Ovide, Ed. Ellipses, p. 4) :
« L’accumulation de ces récits parfois sans lien évident entre eux donne une impression de désordre. Plusieurs propositions de plans ont pourtant été avancées, et de fait, un plan chronologique d’ensemble se dessine assez facilement : il paraît aisé d’effectuer un apparent parcours chronologique à travers les âges, puisque le début de l’oeuvre commence à et avec la création du monde, et qu’Ovide nous amène jusqu’à la mort de César, en passant par les cycles thébain ou troyen ; il est manifeste toutefois que le but du poème n’est pas de raconter une généalogie divine à la manière de la Théogonie d’Hésiode, ni une Histoire de Rome à la manière par exemple de Tite Live, pas davantage une épopée à la manière de l’Enéide de Virgile. »
« Le texte est donc fragmenté, fragmentaire, et ce choix d’Ovide rend difficile le souvenir des différents épisodes qui paraissent souvent pouvoir se lire séparément. »
Cette dernière phrase exige notre attention : le texte paraît « fragmentaire » alors que chacune des histoires le constituant est bel et bien contée d’un début à une fin. Et « le souvenir des différents épisodes le constituant » est rendu « difficile » par Ovide. A savoir : l’organisation générale du texte est étrange, non tautologique ni classique, bref est propre à Ovide lui-même…
L’organisation non évidente des Métamorphoses est à l’évidence un choix assumé par le poète. Cette organisation rend précisément compte de la dynamique des histoires le constituant : dynamique pulsionnelle des aventures vécues par les protagonistes, à l’origine des affects éprouvés à la lecture de ces récits… Cette organisation tisse entre les scènes un immense recueil de poèmes : un divan… Nous verrons dans un prochain article ce que le mot divan recouvre.
Yves-Marie Bouillon, Brest, 2016.
Copyright, Bouillon, 2016.