L’hypnose a envahi la vie psychique collective : à commencer par les écrans (l’hypnose n’est alors qu’un spectacle), sans oublier les psychothérapies, les hôpitaux… voire les formations proposées aux chômeurs par le Pôle Emploi, comme l’a récemment révélé un article du Canard enchaîné : cf. l’article d’Alain Guédé, Les stages-farces de Pôle emploi pour inverser la courbe, mercredi 26 octobre 2016.
Bien sûr, en certains moments de la vie, les techniques d’induction d’états de conscience modifiés sont hautement secourables : soins dentaires, intervention des services de secours en urgence auprès de blessés, gestes chirurgicaux au cours desquels l’emploi d’anesthésiants serait problématique. Cela est connu depuis longtemps : sous hypnose, certaines personnes peuvent être opérées avec de moindres épanchements sanguins, de moindres ressentis de la douleur. Le confort lors d’actes chirurgicaux, confort du patient mais également des soignants, en est accru.
Mais la propension contemporaine à prétendre employer l’hypnose en de multiples occasions, comme la panacée des techniques thérapeutiques, pose problème. Le problème le plus important est éthique. L’hypnose joue avec excès de la relation de dépendance de la personne hypnotisée envers la personne hypnotisant. Cela a été appelé le transfert… Freud employa d’abord l’hypnose dans le traitement de ses patient(e)s hystériques, puis y renonça.
Le transfert sur la personne du thérapeute de complexes psychiques infantiles enfouis, c’est-à-dire d’organisations psychiques où prévalent les fixations aux personnes détentrices de l’autorité pour l’enfant, ce transfert est singulièrement amplifié lors de séances d’hypnose. Et la qualité, surtout la pertinence, de l’emploi de l’hypnose dépend alors en premier lieu, si le patient n’a pas la capacité d’en juger par lui-même, de l’honnêteté du thérapeute…
La suggestion hypnotique, mais surtout l’induction de faux souvenirs sont parfois possibles quand le patient est en état de vulnérabilité importante, et de ce fait idéalise outre mesure le thérapeute… Les chroniques judiciaires ces dernières décennies, outre atlantique en particulier, ont été traversées de procès au cours desquels il s’avéra que les récits rapportés par les patients -parfois par les thérapeutes eux-mêmes au défi de toute déontologie !- provenaient de convictions acquises lors de séances d’hypnose. Or, et c’en est la force thérapeutique parfois, mais souvent le risque également : en état d’hypnose, le patient ne distinguera pas toujours, loin s’en faut, la réalité effective du fantasme, le souvenir reconstruit du rêve éveillé, voire sa propre vie psychique de celle induite par le thérapeute… Freud a donné l’image, pour décrire la relation entre hypnotiseur et hypnotisé, d’une foule à deux : le meneur et la foule…
Que manifeste cette propension contemporaine à employer l’hypnose sans discernement ? Probablement l’assujettissement croissant -via les médias entre autres, mais aussi divers lobbys de thérapeutes- de la population à des figures d’autorités : médecins, scientifiques, journalistes, politiques, « stars », et thérapeutes… La fascination pour l’hypnose reste une fascination, issue des voeux infantiles, pour la magie : la proximité d’avec le monde du spectacle en dit long.
Or, une personne prétendant soigner autrui ne devrait qu’avec la plus grande prudence, et en ultime recours exclusivement, employer une technique si aléatoire, et enfermant à ce point la personne bénéficiaire dans la relation de dépendance. Le travail psychanalytique à partir du transfert n’est pas, loin s’en faut, dans le but d’y enfermer la personne en analyse, mais tout au contraire dans le but de partager avec elle la réflexion (et non de lui imposer la suggestion !) sur ce qui la détermine parfois si puissamment à idéaliser autrui, fût-ce la personne du thérapeute.
Yves-Marie Bouillon, Brest, 2016.
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